Les "tasses"
Mot d’argot désignant : de petits édifices construits sur la voie publique en vue de permettre aux passants masculins souvent oublieux d’hygiène et de pudeur de satisfaire un petit besoin naturel.
De leur vrai nom : les vespasiennes apparaissent en 1834 par décision du préfet de la Seine pour remplacer les barils d’aisance mis en place en 1770 par Mr de Sartines, lieutenant général de police et disposés à tous les coins de rue de Paris. La nouveauté vient des parois métalliques qui ont l'avantage de préserver une relative intimité et d’épargner la scène aux passants.
Le succès est immédiat, hygiène et moralité (les hommes ne se soulagent plus dans la rue, sous une porte cochère et/ou dans les halls d‘immeubles. les urinoirs se multiplient dans la capitale et le triomphe est complet.
Toutefois, avec les urinoirs publics sont apparus d’autres inconvénients : les odeurs puis le détournement plus ou moins de ces lieux en des lieux de rencontre masculines. Draguer dans les vespasiennes ou autour d’elles se disait faire "les tasses" on trouve cette expression dans une chanson de Serge Gainsbourg "tata teutonne" Otto est une "tata teutonne" en claire : Otto fait les tasses à taton.
Sur les grands boulevards, les vespasiennes ont été de fameux lieux de drague et très fréquentées jusque dans les années 1970 où elles furent supprimées (toutefois, les toilettes publiques de parcs, des gares, des centres commerciaux, des universités les ont remplacées). Des hommes se rencontrant dans ces lieux pouvaient ensuite se rendre chez l’un deux et des relations durables, des amitiés et/ou des relations pouvaient se former. Le lieu de drague était donc un espace ou se constituait la sociabilité gay.
A New York dans les années 1920-1930, les tasses sont appelées les tea room (salon de thé) dans l’argot gay étaient connues comme d’importants lieux de rencontres sexuelles furtives où se croisaient des hommes largement immergés dans le milieu homosexuel, que d’autres (parfois hétéros) à la recherche de caresses furtives. la guerre, ou lieu de drague appartenant aux itinéraires complexes d’un désir prohibé et condamné, de nombreuses anecdotes courent sur elles et la littérature gay abonde de récits sur le rôle de ces vespasiennes. Proust parle de "pissotières", Carco de "théière", des homosexuels du 16ème arrdt utilisaient les termes de "parloir» et de "baie" plus chic que le mot : "tasse" d‘autre encore plus populaires les avaient baptisées "ginettes".
Jean Genet glorifie cette mythologie des pissotières dans Querelle de Brest ou l’on voit le lieutenant Seblon faire la tournée des édicules portuaire pour y inscrire des graffitis invitant à des rendez-vous sexuels. Et surtout, dans le "Journal du voleur" où les travestis Barcelonais vont en procession fleurir une "tasse" détruite lors des émeutes anarchistes de 1933
Des prostitués y officiaient parfois. "La Grande Thérèse" un travesti, attendait le client dans les tasses. Elle apportait un pliant, s’asseyait et faisait son tricot, son crochet qu’elle interrompait parfois pour manger son sandwich. Elle était chez elle. (Jean Genet, P. 167). Ses habitués étaient d'ailleurs surnommés "les renifleurs", je vous laisse deviner pourquoi.
L’activité homosexuelle dans les urinoirs à toujours été très surveillée par la Police et nombre de personne y ont été arrêtées pour outrage public à la pudeur. Un ministre de la 4ème République pris dans une raffle de pissotières et qui, reconnu par un policier qui lui demande stupéfait ce qu’il fait là, il répond : "je m’informe, voyons" (Le Bitoux P.446).
A ce jour, les tasses ont disparu et sont avantageusement remplacées par les sanisettes. Qui elles bien que payantes, sont sans odeur, accessibles, aux femmes et logiquement toujours propres.
Mes sources : Jean Genet (le journal du voleur) et "Querelle de Brest"
Marcel Proust (le Temps Retrouvé)
Jean Le Bitoux (A la recherche des tasses perdues)